QUAND JE DIS CÉVENNES

Quand je dis Cévennes, tu dis Bretagne, Hollande ou Laponie, et toi tu dis Corse, Chypre ou Arabie et d'autres, parfois les mêmes disent, en plus et aussi, Rome, Genève, Augsbourg, Canterbury, les Indes, la Mecque et jusqu'à Jérusalem. Ce sont nos racines, les lieux où nous palpitons de familiarité respectueuse, les lieux où nous accrochons notre mémoire en émoi. Nous y sommes, sans y être jamais allés et nous y restons, quand nous les avons depuis longtemps quittés. Nous y volons comme des oiseaux migrateurs, qui instinctivement prennent leur cap, entre vents et étoiles. Nous y demeurons, comme les sédentaires du souvenir et du revoir. Ce sont nos cartes de visite particulières et nous ne nous soucions pas de trop mêler les cartes sacrées aux cartes profanes, car nul ne sait si son sacré n'est pas folklore, ni si son profane n'est pas appel et rappel.

Toi aussi, Dieu, tu dis Sinaï, Horeb, Carmel, mer rouge, mer morte, mer de Galilée, villages de Bethléem et de Nazareth, villes de Capharnaüm, de Samarie et de Jérusalem, chemins de Jéricho, d'Emmaüs et de Damas. Toi aussi, tu te signales en des lieux, tu te nommes par des rencontres d'occasion, et non par mythes et archétypes, essences et concepts, super et infrastructures. Car tu es nom en un lieu. Tu n'es pas celui qui est tellement partout qu'il n'est nulle part et qu'il n'est personne.

Mais, Dieu de Canaan, fils de David, le Christ qui est Jésus, apprends-nous à te nommer et à nous nommer pour traverser toutes barrières, pour devenir frères adoptifs sur la terre entière. Délivre-nous des folklores, quand ils nourrissent la vanité et le mépris. Délivre-nous des confessions et des religions, quand elles augmentent la suspicion et la séparation. Donne-nous des racines qui emmêlent ensuite leurs branches. Tu nous a créés pour la confession de notre nom, mais aussi pour la communion de ton nom.

 

Quand je dis Cévennes, permets que je ne haïsse pas la Lozère et que je ne méprise pas la plaine. Permets que je vive en ma foi, sans me barricader dans ma religion. Préserve-moi de ces deux sœurs, qui me sont toutes deux adverses : l'indifférence et l'intolérance, toi qui es l'unique Dieu révélé à chaque peuple en sa propre langue, comme au jour de la Pentecôte il n'y eut qu'un seul feu et de multiples flammes. Amen.

 

Pasteur André DUMAS

In « Cent prières possibles » Albin Michel, 2000
Olivier Abel signe la préface pour la parution en format poche du recueil de prières du pasteur Dumas. De très beaux textes, tant pour un usage liturgique, que pour la méditation.